Ces homélies qui changent de vies

Lire ici les homélies de Gérard Blais, prêtre marianiste.

Semaine du 15 septembre 2019:   

Par mont et par veau ! 

Mes chers amis,

Depuis que je fais des homélies, j’ai souvent commenté la parabole de l’enfant prodigue: j’ai déjà traité du père; j’ai déjà traité du fils cadet; j’ai déjà traité du fils aîné. Il ne me reste plus qu’à parler du veau. Toutefois, je ne traiterai pas du veau gras de la parabole mais du veau d’or dont il est question dans la première lecture. « Le Seigneur dit à Moïse: Descends de la montagne. Ton peuple s’est perverti. Les fils d’Israël se sont fabriqué un veau. Ils se sont prosternés devant lui. » En référant à la montagne du Sinaï et au veau d’or, j’ai intitulé mon homélie : « Par mont et par veau ». Péché d’Israël « Ton peuple s’est perverti. Les fils d’Israël se sont fabriqué un veau. Ils se sont prosternés devant lui. » Le grand péché d’Israël, au désert, fut celui de s’être prosterné devant le veau d’or. A première vue, on ne voit pas où est le péché. Tout au plus, on trouve cela plutôt étrange et même un peu ridicule. « Adorer un veau ! » Sans entrer dans tous les détails, cet épisode du veau d’or au désert du Sinaï réfère à la puissance de l’argent. Au désert, Israël a connu la tentation de délaisser un Dieu invisible pour se tourner vers des réalités visibles, palpables. A la longue, c’est fatiguant de mettre sa confiance en un Dieu qu’on ne voit pas. Alors Israël s’est fabriqué un dieu visible. Vous connaissez peut-être le jeu de mots que l’on a fait avec la devise qui apparaît sur la monnaie américaine: au lieu de lire « In God we trust », certains ont modifié en : « In Gold we trust. » Qu’est-ce qui rend libre ? « Et les fils d’Israël s’écrièrent : Voici ton dieu qui t’a fait sortir d’Égypte ! » La sortie d’Égypte représentait la liberté nouvellement acquise. Finis les travaux communautaires, fini le fouet du pharaon; finie la privation des droits fondamentaux. Or, à peine libérés, les Israélites tombent à genoux devant un veau d’or. Encore aujourd’hui, nous croyons facilement que le fait de posséder beaucoup de biens nous rend libres. C’est une pure illusion. L’argent peut rendre indépendant, mais la liberté est bien au-delà de l’indépendance. On a tous le réflexe de croire que plus on a, plus on est. Comme disait François Varillon: « On cherche à consolider l’être avec de l’avoir. » Qui n’a pas la tentation, un jour, lorsqu’il entre chez Costco avec un chariot grand comme un garage, d’acheter tout ce qui est exposé en primeur dès l’entrée ? Oh ! les magnifiques chandails aux couleurs chatoyantes. Oh ! les irrésistibles gilets en laine d’alpaca ! On voudrait tout acheter, mais trois chandails tout neufs traînent dans sa garde-robe depuis trois ans ! Même moi, j’en aurais assez pour habiller une demi-douzaine de clients de Lauberivière ! L’argent fait partie de notre quotidien. Mais l’argent peut devenir aussi un tyran. L’appétit de toujours posséder davantage nous fait parfois perdre la tête. On est prêt à tout sacrifier: son honneur, sa famille, ses amis. On se tue à l’ouvrage pour posséder une belle grosse maison qui profite surtout à son jardinier ou à sa femme de ménage. Plus on possède, moins on est libre. On n’est même plus capable de quitter sa maison à cause de son serin, de son pitou ou de son minou. Sur cette question, dans notre société de consommation, il faudrait plus souvent se poser la question : « Est-ce que j’ai vraiment besoin de cela ? » D’une certaine manière, il faudrait imiter François d’Assise: se rendre sur la place publique, se dépouiller de tout son superflu et partir tout nu. Tout nu et tout libre ! Les casinos « Ton peuple s’est perverti. Les fils d’Israël se sont fabriqué un veau. Ils se sont prosternés devant lui. » Alors que je commente cet épisode au désert, je dois avouer, à ma courte honte, que moi aussi, un jour, je me suis prosterné devant le veau d’or. Un des veaux d’or de nos sociétés modernes, c’est le casino. Autrefois, on disait: « Hors de l’Église, point de salut. » Aujourd’hui, on a tendance à dire : « Sans les casinos, point d’économie ! » En bien voilà, j’ai succombé un jour à la tentation de jouer au Casino du Manoir Richelieu dans Charlevoix. Je devais bénir un mariage, un samedi en fin d’après-midi, et j’étais libre toute la matinée. Je suis donc allé jouer au casino. Avant d’entrer dans ce lieu que je n’ai pas coutume de recommander dans mes homélies, j’avais quand même fait une prière : « Seigneur, il y a tant de gens qui viennent dépenser inutilement de grosses sommes d’argent ici. J’ai un urgent besoin de 5,000 $ pour le Centre Biblique Har’el. Permets donc que le hasard s’harmonise avec ta volonté. Fais que les machines à boules perdent la boule! Mais, je te le promets, Seigneur, je ne vais pas risquer au-delà de 5 $. » Cinq dollars pour en gagner 5 000$, c’était un risque acceptable ! J’ai commencé à jouer. Surprise : des 25 cents se sont mis à tomber. J’ai même pensé que la machine était défectueuse. Avec ma mise de fonds, j’ai ramassé 4.50$. Mais j’étais encore loin du montant espéré; il me manquait encore 4 995.50 $ ! Je me suis dit: « Seigneur, j’ai perdu 5$ mais j’en ai gagné 4.50$. Je pourrais encore jouer ce montant. » J’ai supposé que ce gain faisait partie de ma prière initiale. Je me suis donc mis à distribuer parcimonieusement mes 0.25$, changeant d’appareil à chaque mise, comme pour prendre les machines par surprise. J’ai tout joué… et j’ai tout perdu ! Frustré de ne pas avoir été exaucé après une si noble prière, je me suis promené dans le casino juste pour observer les gens. Ayant vu toutes ces personnes littéralement accrochées au veau d’or, je suis ressorti pour marcher dans la nature en réfléchissant à mon aventure. J’ai compris que j’étais tombé dans la pensée magique et qu’il n’y a pas de gain sans efforts. Cette petite leçon valait bien 5.00$ sans doute. Conclusion Un chrétien ne doit pas banaliser les questions monétaires. Nous avons tous participé à des levées de fonds pour telle ou telle cause et c’est très bien. En même temps, il ne doit pas faire de l’argent une obsession, et faire un peu plus confiance à la Providence. L’argent est un moyen et non une fin en soi. Il est salutaire de revenir à cette belle philosophie de Jésus qui disait: Pourquoi tant vous préoccuper ? Regardez les lis des champs: ils ne filent ni ne tissent et pourtant, même le roi Salomon n’était pas aussi bien vêtu qu’eux. Regardez les oiseaux du ciel: ils ne sèment ni ne moissonnent et pourtant, mon Père céleste les nourrit. » Plus on est sollicité par des questions matérielles, plus on doit équilibrer avec des valeurs spirituelles. Il faut moins d’encadrement rigoureux de notre agir et plus de confiance. Et puis, si vous avez besoin de grimper le Mont Sinaï pour comprendre l’histoire du veau d’or, venez me voir, je saurais vous indiquer la route. Amen.

Gérard Blais, marianiste